18

La fosse aux lions
de Tu-lur

Tarzan eut beau fouiller la banlieue de la ville, presque jusqu’à l’aube, il ne repéra aucune trace de sa compagne. La brise venant des montagnes lui apportait une grande variété d’odeurs mais nulle qui ressemblât le moins du monde à celle qu’il cherchait. Il en déduisit tout naturellement qu’on l’avait emmenée dans une autre direction. Au cours de ses recherches, il avait plusieurs fois croisé la piste toute fraîche d’un grand nombre d’hommes se dirigeant vers le lac. Il pensa que c’était probablement celle des ravisseurs de Jane Clayton. Aussi était-ce uniquement pour réduire le risque d’erreur, en procédant par éliminations successives, qu’il avait soigneusement reconnu toutes les voies conduisant d’A-lur vers le sud-est et vers Tu-lur, la ville de Mo-sar. Il suivait donc à présent la piste longeant la rive de Jad-ben-lul, du côté où la troupe en fuite s’était embarquée à bord de ses pirogues.

Il trouva beaucoup d’embarcations semblables, rangées sur la berge, et s’en attribua une pour continuer sa poursuite. Il faisait jour quand il pénétra dans le lac succédant à celui de Jad-ben-lul. Pagayant avec vigueur, il passa à portée de regard de l’arbre où son épouse perdue sommeillait.

Si le petit vent caressant la surface du lac avait soufflé du sud, l’homme-singe et Jane Clayton auraient été aussitôt réunis. Mais un malheureux hasard en décida autrement. L’occasion passa en même temps que passait la pirogue, qui s’éloigna à toute vitesse et entra dans la rivière née du lac. En suivant les méandres de cette rivière qui coule longuement vers le nord avant de former une boucle et de revenir se jeter dans Jad-in-lul, l’homme-singe manqua un chemin de portage qui aurait pu lui éviter des heures de navigation.

C’est à l’extrémité de ce portage, en amont, que Mo-sar et ses guerriers avaient débarqué. Là, le chef avait découvert l’absence de sa captive. Comme Mo-sar s’était endormi peu après le départ d’A-lur et qu’aucun des guerriers ne se rappelait quand il l’avait vue pour la dernière fois, on ne pouvait conjecturer avec tant soit peu de précision l’endroit où elle s’était évadée. Tous étaient d’accord pour dire que ce devait être dans la rivière étroite reliant Jad-ben-lul au lac suivant, appelé Jad-bal-lul, ce qui peut se traduire librement par lac d’or. Mo-sar était furieux. Comme tout était sa faute, il n’eut rien de plus pressé que d’en rejeter la responsabilité sur quelqu’un d’autre.

Il serait retourné la chercher s’il n’avait craint de rencontrer des poursuivants dépêchés par Ja-don ou par le grand prêtre. Il savait que l’un et l’autre avaient des griefs à faire valoir contre lui. Il jugeait même imprudent de distraire une seule pirogue de son escorte pour l’envoyer à la recherche de la fugitive. Il ordonna au contraire de commencer le portage sans délai, puis de réembarquer afin de gagner au plus vite les eaux de Jad-in-lul.

Le soleil matinal commençait à éclairer les blanches coupoles de Tu-lur quand les pagayeurs de Mo-sar firent accoster leurs embarcations au quai de la ville. À nouveau en sécurité derrière ses remparts et protégé par ses nombreux guerriers, le chef reprit assez de courage pour dépêcher trois pirogues avec mission de rechercher Jane Clayton. Elles devaient également, si possible, remonter jusqu’à A-lur pour tenter de savoir ce qui avait retardé Bu-lot. Effectivement, au moment de leur fuite, le fait qu’il n’ait pas rejoint les pirogues avec le reste de la troupe n’avait pas empêché Mo-sar de partir, sa propre sécurité lui étant beaucoup plus chère que celle de son fils. Quand, au cours de ce voyage d’inspection, les trois pirogues atteignirent le chemin de portage, les guerriers qui les tiraient hors de l’eau eurent la surprise de voir arriver deux prêtres sur une embarcation légère, se dirigeant vers Jad-in-lul. Ils crurent d’abord avoir rencontré l’avant-garde d’une force plus importante, envoyée par Lu-don. Toutefois cette hypothèse contredisait tout ce qu’ils savaient sur les prêtres : ces derniers n’acceptaient jamais les risques et périls du métier des armes et ne se décidaient à combattre que si on les y contraignait par la violence ou la peur. Les guerriers de Pal-ul-don méprisaient en secret ces prêtres efféminés. C’est pourquoi, au lieu de prendre immédiatement l’offensive, comme ils l’auraient fait s’ils s’étaient trouvés en présence de deux guerriers d’A-lur et non de deux religieux, ils attendirent d’être assez proches pour les interroger.

À la vue des guerriers, les prêtres adressèrent des signes de paix. Quand on leur eut demandé s’ils étaient seuls, ils répondirent par l’affirmative. Le chef des guerriers de Mo-sar leur permit alors de les aborder.

— Que faites-vous ici, demanda-t-il, dans le pays de Mo-sar, si loin de votre ville ?

— Nous apportons un message de Lu-don, le grand prêtre, à Mo-sar, expliqua l’un d’eux.

— Est-ce un message de paix ou de guerre ? insista le guerrier.

— C’est une offre de paix, répondit le prêtre.

— Lu-don n’envoie-t-il pas de guerriers dans votre sillage ? s’enquit encore l’homme de guerre.

— Nous sommes seuls. À l’exception de Lu-don, personne dans A-lur n’est au courant de notre mission.

— Alors passez votre chemin.

— Qu’est-ce que cela ? demanda soudain l’un des prêtres en désignant l’endroit où la rivière venant de Jad-bal-lul débouchait dans le lac.

Tous les yeux se tournèrent dans la direction qu’il indiquait et l’on vit alors un guerrier solitaire pagayant rapidement à la surface de Jad-in-lul, la proue de sa pirogue pointée vers Tu-lur. Les guerriers et les prêtres coururent se cacher dans la roselière, de part et d’autre du chemin de portage.

— C’est l’homme terrible qui s’est fait passer pour le Dor-ul-otho, murmura l’un des prêtres. D’aussi loin que je puisse le voir, je le reconnaîtrais entre mille.

— Tu as raison, saint homme, s’écria l’un des guerriers qui avait vu Tarzan le jour de son entrée au palais de Ko-tan. C’est lui qu’on appelle Tarzan-jad-guru.

— Vite, les prêtres ! cria le chef de la compagnie. Vous êtes deux à ramer sur une barque légère. Vous pouvez atteindre Tu-lur avant lui. Avertissez Mo-sar de sa venue. Il est à peine entré dans le lac.

Les religieux restèrent un moment interdits : ils ne tenaient nullement à risquer une rencontre avec cet homme terrible. Mais le guerrier insista et alla même jusqu’à les menacer. On se saisit de leur canot et on le mit à l’eau. On les conduisit d’une main ferme – pour ne pas dire qu’on les traîna – jusqu’à la berge où on les embarqua de force.

Bien qu’ils se missent à protester, on les poussa à l’eau, bien en vue du pagayeur solitaire. Il n’y avait plus rien à faire. Leur seule chance était de se réfugier à Tu-lur et, en pesant de toutes leurs forces sur leurs avirons, les deux prêtres prirent en toute hâte la direction de la ville.

Les guerriers retournèrent se cacher, bien que, même si Tarzan les avait repérés, ils n’eussent pas eu à craindre l’issue du combat, étant trente contre un. Ils ne jugèrent cependant pas nécessaire de gagner le lac pour se lancer à l’abordage. Leur mission consistait en effet à retrouver la trace de la prisonnière disparue, non à intercepter le guerrier étranger. De plus, les informations concernant sa férocité et ses exploits ne les incitaient pas à l’action.

Les avait-il vus ? Il n’en montra rien et continua à pagayer vivement et vigoureusement vers la ville. Reste qu’il n’augmenta pas non plus sa vitesse en apercevant les deux prêtres. Vint donc le moment où leur canot accosta en ville. Ses occupants mirent prestement pied à terre, puis se dirigèrent de toute la vitesse de leurs jambes vers les portes du palais, en jetant derrière eux des regards effarouchés. Ils demandèrent immédiatement audience à Mo-sar, après avoir averti la garde de l’arrivée de Tarzan.

On les conduisit sans délai auprès du chef, dont la cour était une réplique, en miniature, de celle du roi d’A-lur.

— Nous venons de la part de Lu-don, le grand prêtre, expliqua le porte-parole. Il prie Mo-sar de lui accorder son amitié. Il pense d’ailleurs que Mo-sar a toujours été son ami. Ja-don rassemble ses guerriers pour se faire proclamer roi. Partout dans les villages, des milliers de Ho-don sont prêts à obéir aux ordres de Lu-don, le grand prêtre. Mo-sar peut devenir roi, mais pas sans l’assistance de Lu-don. Le message de Lu-don est celui-ci : si Mo-sar souhaite l’amitié de Lu-don, il doit lui rendre immédiatement la femme qu’il a enlevée dans les appartements de la princesse O-lo-a.

Au même moment, un guerrier apparut. Il était très agité.

— Le Dor-ul-otho est arrivé à Tu-lur. Il demande à voir Mo-sar tout de suite.

— Le Dor-ul-otho ! s’exclama Mo-sar.

— C’est ce qu’il prétend être, répondit le guerrier. De fait, il n’est pas semblable aux gens de Pal-ul-don. C’est lui, pensons-nous, dont nous ont parlé les guerriers revenus aujourd’hui d’A-lur. Certains l’appellent Tarzan-jad-guru, d’autres Dor-ul-otho. En tout cas, il n’y a que le fils de Dieu qui oserait se présenter seul dans une ville étrangère. Il se peut donc qu’il dise la vérité.

Mo-sar, le cœur plein de terreur et d’indécision, interrogea les deux prêtres du regard.

— Reçois-le avec courtoisie, Mo-sar, conseilla celui qui avait déjà parlé.

Cet avis lui était dicté par la sagacité réduite de son cerveau étroit, mais devait beaucoup aussi à l’influence d’un Lu-don, toujours enclin à la duplicité.

— Oui, reçois-le avec courtoisie. Quand il sera convaincu de tes bonnes intentions, il ne se tiendra plus sur ses gardes. Alors tu feras de lui ce que tu voudras. Mais, si c’est possible, Mo-sar, garde-le en vie pour le remettre à mon maître. Lu-don t’en sera éternellement reconnaissant.

Mo-sar hocha la tête d’un air entendu. Puis il se tourna vers le guerrier et lui ordonna d’amener le visiteur.

— Nous ne devons pas être vus de cette créature, dit l’un des prêtres. Donne-nous ta réponse pour Lu-don, Mo-sar, et nous nous en irons.

— Dites à Lu-don que si je n’étais pas intervenu, cette femme aurait été définitivement perdue pour lui. J’ai voulu la conduire à Tu-lur pour l’arracher aux griffes de Ja-don, mais elle s’est échappée pendant la nuit. Dites à Lu-don que j’ai envoyé trente guerriers à sa recherche. Il est étrange que vous ne les ayez pas croisés en arrivant.

— Nous les avons vus, répondirent les religieux, mais ils ne nous ont rien révélé du but de leur voyage.

— Tel est leur but et, s’ils la trouvent, nous la garderons à Tu-lur, sans lui faire aucun mal, afin de la restituer à votre maître. Vous pouvez l’en assurer. Dites-lui aussi que j’enverrai mes guerriers se joindre aux siens contre Ja-don, s’il m’avertit que tel est son souhait. Maintenant allez, car Tarzan-jad-guru va bientôt paraître.

Il héla un esclave.

— Conduisez les prêtres au temple, ordonna-t-il, et demandez au grand prêtre de Tu-lur de leur donner un repas, puis de les laisser rentrer à A-lur, quand ils le voudront.

L’esclave fît sortit les deux prêtres par une porte dérobée. Un moment plus tard, Tarzan-jad-guru se présentait à Mo-sar, suivi d’une escorte de guerriers. L’homme-singe ne lui adressa aucun signe de salut ni de paix, il s’avança effrontément vers le chef déloyal qui dut accomplir un grand effort de volonté pour dissimuler la terreur qui le saisit à la vue de ce géant à la face menaçante.

— Je suis le Dor-ul-otho, dit l’homme-singe d’un ton qui fit à Mo-sar l’effet d’une douche froide. Je suis le Dor-ul-otho et je viens à Tu-lur chercher la femme que tu as enlevée dans les appartements d’O-lo-a, la princesse.

L’audace avec laquelle Tarzan était entré dans cette cité hostile lui procurait un précieux avantage moral sur Mo-sar et les sauvages guerriers rangés de part et d’autre du trône. Il leur semblait en effet que personne d’autre que le fils de Jad-ben-otho n’aurait osé accomplir un acte aussi héroïque. Quel guerrier mortel eût agi avec une telle hardiesse ? Qui aurait eu le front de se présenter seul devant un chef puissant et de lui demander des comptes, sur ce ton arrogant, sans faire le moindre cas d’une escorte de vingt guerriers ? Oui, cela dépassait le sens commun.

Mo-sar chercha à dissimuler son intention de tromper l’étranger et feignit la cordialité. Mais une idée lui vint tout à coup, et il pâlit : Jad-ben-otho savait tout, même nos pensées intimes. Cette créature, après tout, était peut-être bien le Dor-ul-otho : n’était-elle donc pas capable de percer les sombres desseins inculqués par le prêtre à Mo-sar, qui les avait accueillis si favorablement ? Le chef tressaillit et s’agita sur le banc de pierre lui servant de trône.

— Vite, aboya l’homme-singe, où est-elle ?

— Elle n’est pas ici, cria Mo-sar.

— Tu mens ! rétorqua Tarzan.

— Jad-ben-otho m’est témoin qu’elle n’est pas à Tu-lur, insista le chef. Tu peux fouiller le palais et le temple, la ville entière, tu ne la trouveras pas parce qu’elle n’y est pas.

— Où est-elle donc ? demande l’homme-singe. Tu t’es emparé d’elle au palais d’A-lur et tu l’as amenée ici. Si elle n’y est pas, alors où est-elle ? Confirme-moi qu’il ne lui est rien arrivé.

Et il fit un pas vers Mo-sar qui se ratatina de peur.

— Attends ! s’écria-t-il. Si tu es vraiment le Dor-ul-otho, tu dois savoir que je dis la vérité. Je l’ai enlevée au palais de Ko-tan pour la restituer au grand prêtre avant que Ja-don ne profite de la mort du roi pour s’emparer d’elle. Mais, cette nuit, elle s’est échappée en chemin. Je viens d’envoyer trois pirogues à sa recherche.

Quelque chose, dans le ton et les manières du chef, assura l’homme-singe qu’il disait au moins une partie de la vérité. Une fois de plus, Tarzan avait bravé inutilement des dangers incalculables, en perdant un temps précieux.

— Que voulaient les prêtres de Lu-don qui m’ont précédé ici ? demanda-t-il.

Il venait de se dire que ces deux personnages, qui ramaient si frénétiquement pour ne pas se faire rattraper, avaient sans doute été envoyés par le grand prêtre d’A-lur.

— Ils sont venus accomplir une mission assez semblable à la tienne, répondit Mo-sar. Ils réclament le retour de la femme. Lu-don croit que j’ai voulu la lui soustraire. Il s’est trompé sur mon compte aussi lourdement que toi, ô Dor-ul-otho.

— J’interrogerai les prêtres, dit Tarzan. Fais-les venir.

Ces manières péremptoires et discourtoises laissaient Mo-sar partagé entre la colère et la peur. Mais il s’agissait pour lui en premier lieu de veiller à sa propre sécurité. S’il parvenait à détourner l’attention et le courroux de cet homme terrible sur les prêtres de Lu-don, tant mieux. Et si, d’aventure, les deux messagers s’avisaient de conspirer contre l’étranger, Mo-sar se sentirait disculpé aux yeux de Jad-ben-otho, au cas où il se révélerait finalement qu’on était bien en présence de son fils. Le chef se sentait mal à l’aise devant Tarzan et cela accentuait ses doutes, car c’est bien ainsi, il est vrai, qu’un mortel doit se sentir face à un dieu. La solution était là, du moins dans l’immédiat.

— Je vais les chercher moi-même, Dor-ul-otho, dit-il.

Il descendit de son trône et quitta la salle. Il se rendit d’un pas pressé au temple. Il y arriva vite car les jardins entourant le palais et incluant également le temple, comme dans toutes les villes ho-don, couvraient une superficie très inférieure à celle du parc royal d’A-lur. Il trouva les envoyés de Lu-don en compagnie du grand prêtre de son propre temple et leur transmit aussitôt les ordres de l’homme-singe.

— Que comptez-vous faire de lui ? demanda l’un des prêtres.

— Je ne suis pas en mauvais termes avec lui, répondit Mo-sar. Il est venu en paix et il pourra partir en paix. Qui sait s’il n’est pas réellement le Dor-ul-otho ?

— Nous savons qu’il ne l’est pas, répondit l’un des émissaires. Nous possédons toutes les preuves qu’il n’est qu’un mortel, une créature étrange, venue d’un autre pays. Lu-don a déjà imploré Jad-ben-otho de lui enlever la vie s’il se trompait en croyant que ce personnage n’est pas un dieu. Si le grand prêtre d’A-lur, le premier de tous les grands prêtres de Pal-ul-don, est tellement sûr d’être en présence d’un imposteur qu’il n’hésite pas à offrir sa vie en gage de ses affirmations, qui sommes-nous pour oser ajouter foi aux allégations de cet étranger ? Non, Mo-sar, tu n’as pas à le craindre. Ce n’est qu’un guerrier, qu’on peut vaincre avec les mêmes armes que celles de tes propres combattants. Si Lu-don lui-même n’avait pas ordonné de le laisser en vie, je te supplierais de le faire tuer. Mais les ordres de Lu-don sont ceux de Jad-ben-otho lui-même et nous ne pouvons y désobéir.

Mais le reste de doute qui subsistait chez Mo-sar, associé à sa lâcheté naturelle, le poussa à laisser quelqu’un d’autre prendre l’initiative contre l’étranger.

— Je le remets entre vos mains, dit-il. Faites-en ce que vous voudrez.

Je n’ai pas de querelle avec lui. Mais votre volonté sera pour moi la volonté de Lu-don, votre grand prêtre : en dehors de cela, je n’ai rien à voir avec cette affaire.

Les émissaires se tournèrent alors vers celui qui présidait aux destinées du temple de Tu-lur.

— As-tu une idée ? demandèrent-ils. Celui qui trouvera le moyen de capturer vivant cet imposteur ne peut que s’attirer la faveur de Lu-don et de Jad-ben-otho.

— Il y a bien la fosse aux lions, murmura le grand prêtre. Elle est vide en ce moment. Et si cet étranger n’est pas le Dor-ul-otho, il sera incapable de s’échapper d’un endroit où l’on peut retenir captifs des ja et des jato.

— Il ne s’en échappera pas, dit Mo-sar. Un gryf n’y parviendrait pas. Le problème serait toutefois d’obliger le gryf à y entrer.

Les prêtres mesurèrent d’un air songeur le poids de cette sagesse. Enfin l’un des envoyés d’A-lur prit la parole.

— Cela ne devrait pas être difficile, pour peu que nous nous servions de l’intelligence dont Jad-ben-otho nous a dotés, au lieu de nous fier aux muscles hérités de nos parents et qui sont bien moins puissants que ceux des bêtes qui marchent à quatre pattes.

— Lu-don a eu recours à ses dons pour s’opposer à l’étranger et il a perdu, hasarda Mo-sar. Mais ceci vous regarde. Faites ce que vous jugerez bon. Dans A-lur, Ko-tan a reçu solennellement ce Dor-ul-otho et les prêtres l’ont reçu au temple. Si vous faites de même, il ne soupçonnera rien. Que le grand prêtre de Tu-lur l’invite ici. Rassemblez tout le clergé et livrez-vous à de grandes démonstrations de foi en Jad-ben-otho. Quoi de plus naturel que le grand prêtre veuille ensuite lui faire visiter le temple, comme l’a fait Lu-don à A-lur, sur ordre de Ko-tan ? Si un malencontreux hasard l’oblige à passer par la fosse aux lions, ce sera un jeu d’enfant pour les porteurs de torche de les éteindre brusquement. Avant que l’étranger ait compris ce qui se passe, on aura abaissé les portes de pierre et il sera réduit à l’impuissance.

— Il y a néanmoins dans la fosse, objecta le grand prêtre, des ouvertures qui donnent de la lumière. Même en éteignant les torches, on ne pourra l’empêcher de voir et il en profitera pour fuir avant que les portes soient entièrement baissées.

— Faites disposer des peaux devant ces ouvertures, suggéra l’un des prêtres venus d’A-lur.

— Excellente idée, dit Mo-sar.

Il songea à un détail qui lui permettrait de se dégager de tout soupçon de complicité.

— D’autant plus, enchaîna-t-il, qu’elle rend inutile la présence de guerriers. En n’ayant que des prêtres autour de lui, il ne craindra aucune manifestation d’hostilité.

Un messager venant du palais les interrompit à ce point de leur conversation. Il leur annonça que le Dor-ul-otho commençait à s’impatienter. Si les prêtres d’A-lur ne lui étaient pas amenés immédiatement, il viendrait lui-même au temple les chercher. Mo-sar hocha la tête. Il ne pouvait concevoir un tel courage dans un cœur mortel. Encore heureux que le plan ourdi pour neutraliser Tarzan ne nécessitât pas sa participation active.

Ainsi donc, tandis que Mo-sar quittait le temple pour gagner, par un chemin détourné, un appartement secret, on envoya trois religieux auprès de Tarzan. Avec de belles paroles qui ne le dupèrent qu’à demi, ils lui firent part de leur foi en sa parenté avec Jad-ben-otho et le prièrent, au nom du grand prêtre, d’honorer le temple d’une visite. Là, les envoyés d’A-lur le rencontreraient et répondraient à toutes les questions qu’il voudrait bien leur poser.

L’homme-singe, persuadé que mieux valait conforter sa mystification, accepta avec hauteur l’invitation du grand prêtre.

Si, par ailleurs, les soupçons se transformaient en conviction chez Mo-sar et ses courtisans, il ne se trouverait pas plus mal au temple qu’au palais.

Il pénétra donc dans le sanctuaire où il fut reçu avec tous les honneurs dus à son prétendu rang. Il interrogea les deux prêtres d’A-lur mais n’obtint d’eux que la confirmation de ce que Mo-sar lui avait déjà dit. Ensuite, le grand prêtre l’invita à visiter les lieux sacrés.

On le conduisit d’abord à la salle des autels. Il n’y en avait qu’une à Tu-lur, quasi identique à celles d’A-lur : à l’est, un bloc de pierre couvert de sang et à l’ouest, un bassin de noyade. Et les tresses grisonnantes ornant les coiffures des prêtres témoignaient de l’importance de l’autel oriental dans le rite du temple. Puis l’on escorta Tarzan, par des chambres et des couloirs, vers des souterrains d’où, à la lumière des torches, on s’engagea dans un labyrinthe menant à une grande pièce dont l’air empestait encore le lion. Et là, les habiles prêtres de Tu-lur mirent leur sombre projet à exécution.

Les torches s’éteignirent brusquement. On n’entendit d’abord qu’un bruit confus de pieds nus courant sur les pavés, puis le fracas provoqué par la chute d’une pierre pesante. Alors, les ténèbres et un silence sépulcral se refermèrent sur Tarzan.

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